Cette année, la mode est au complotisme parmi les grands réalisateurs de films indépendants. Cependant, certains se sont heurtés à des difficultés, comme Ari Aster avec son Edington, qui manque cruellement de concision. Lánthimos parvient-il alors à mieux réussir l’exercice délicat du commentaire sur le complotisme actuel ?
synopsis : Teddy (Jesse Plemons), apiculteur par passion et ouvrier dans une entreprise pharmaceutique, est un complotiste convaincu. Avec son cousin, qu’il a pris sous son aile, il décide de kidnapper la PDG de l’entreprise pour laquelle il travaille (Emma Stone), persuadé qu’elle est une extraterrestre andromédienne venue exterminer son monde.

Bugonia, un film très (trop) référencé
Après Kind of Kindness, réflexion sensible et percutante mais trop complexe sur l’humanité, Lánthimos revient sur les mêmes bases tout en évitant la difficulté d’un film à trois compositions pour en parler. Le problème ne réside donc pas dans le format, mais dans la volonté de traiter trop de sujets à la fois. Car le film ne parle pas seulement du complotisme, mais aussi du cynisme humain, des malheurs créés par les expérimentations scientifiques, du traumatisme de l’enfance qui mène à une forme de folie, de la biodiversité, ainsi que des problèmes liés au travail et aux dangers qui y sont associés.
Cela fait effectivement beaucoup de thèmes à traiter en un temps limité.
Un film « trop complet » mais avec de grandes qualités
Le film commence sur des abeilles butinant des bégonias. Le sens est à lire entre les lignes : le « bugonia » en grec désignant la progéniture du bétail, symbole dans certaines croyances selon lequel l’abeille naît du cadavre des bovins sacrifiés. Le titre et l’image de départ annoncent déjà la fin du film, offrant une symbolique maîtrisée. Il est clair que le film suit le style de Lanthimos, pour qui le symbolisme est toujours un élément essentiel.
Ensuite, nous découvrons les personnages et le kidnapping de la PDG. Ces séquences sont très bien réalisées, avec des choix de cadre et de colorimétrie soignés. On passe d’une image presque stérile et glaciale du monde de la PDG, avec des focales courtes (grands angles et profondeur de champ) et des couleurs acérées, à des décors sales et des couleurs jaunes agrémenté de focales longues (moins de profondeur, lieux paraissant plus restreints) autour du personnage de Teddy, symbolisant les statuts sociaux de chacun. Chaque choix visuel semble fait avec une grande précision. C’est d’ailleurs cet aspect visuel qui semble être l’élément le plus transcendant du film.

Malheureusement, après cette séquence, le film ralentit à tel point qu’on se demande où Lanthimos veut en venir. Le dialogue entre les personnages, notamment autour de la question de savoir si Michelle Fuller (la PDG) est ou non un extraterrestre, dure presque 40 minutes. Certains personnages, à l’exception de ceux incarnés par Emma Stone et Jesse Plemons, manquent de profondeur, et le film peine à faire avancer son propos. C’est là que réside le plus grand problème du film : son rythme décousu qui laisse parfois l’impression que Lanthimos ne sait pas vraiment où il va.
La suite du film reste intéressante, mais je vous laisse la découvrir par vous-même.
Ci-dessous la conclusion spoiler alert : (surlignez afin de la lire )
Elle est construite de manière plus claire, tout en conservant cette dose de cynisme propre à Lánthimos, qui, il faut l’avouer, est un peu trop présente tout au long du film. L’image de fin reste en tête avec des couleurs beaucoup plus vives montrant étrangement un monde beaucoup plus beau sans les humains.

Bugonia, en fin de compte, s’inscrit dans la même veine que Kind of Kindness ou Canines, des films de Lànthimos qui explorent l’humanité dans ses recoins les plus sombres et jouent avec le cynisme pour dénoncer la puérilité de l’être humain. Les deux acteurs principaux que sont Jesse Plemons (l’un de ces meilleurs rôles) et Emma Stone s’inscrivent parfaitement à l’images et ne surjouent à aucuns moments. Le travail esthétique est riche et important, chaque symbole ayant sa fonction, mais peut-être que le film tente de dire trop de choses à la fois. Il nécessitera probablement plusieurs visionnages pour en saisir toute la densité.
Bugonia de Yórgos Lánthimos avec Emma Stone, Jesse Plemons, Aidan Delbis, Stàrvos Chalkiàs et Alicia Silverstone. Au cinéma depuis le 26 Novembre.
