Felipe Gálvez Haberle signe un premier film intense et radical contre le colonialisme et expose aux yeux de tous une page méconnue de l’histoire du Chili : l’extermination de la population autochtone ! Attention, c’est puissant.
« Les Colons » : l’Histoire vue par les « héros » !
Il est fort à parier que la scène finale de « Les Colons » risque de vous hanter. Le regard de Rosa, refusant de se faire assimiler, et tous les sous-entendus colonialistes, génocidaires et sur la réécriture de l’Histoire par les colons vont vous glacer le sang. Ce n’est pas la seule scène forte de ce premier film du Chilien Felipe Gálvez Haberle mais c’est celle qui en fait la substantifique moelle. Elle vient nous gifler au bout d’une aventure de 1h36 violente, intense et sans aucune concession. Sous ses airs de western dans le Sud du Far Ouest, là-bas, au fond du Chili, en Terre de feu, « Les Colons » raconte le parcours meurtrier, inspiré de faits réels, de trois cavaliers, un ancien soldat britannique, un Américain et un métis, embauché par José Menendez, un riche propriétaire terrien, sous contrat avec l’Etat Chilien, pour vider ses terres des populations autochtones et ouvrir la route de l’or blanc (la laine de mouton). Les deux hommes blancs vont commettre l’irréparable, sous les yeux de Segundo, qui laisse les autochtones disparaître de la surface des arides terres chiliennes. Avec une caméra au plus proche de ses « héros« , avec des gros plans anxiogènes, Gálvez Haberle filme l’horrible Histoire de son pays, (celle de tout pays colonisé…), le génocide des indiens Selknam et brutalise le spectateur avec cette oeuvre engagée qui laisse peu de temps à la respiration. Même les plans larges sur la lande de la Terre de feu sont oppressants.
Les scénaristes Felipe Gálvez Haberle et Antonia Girardi ne dévient pas tout du long de leur oeuvre, ne se cachent pas derrière une certaine distance vis-à-vis de leurs personnages et des faits et poussent le monde à se questionner. Un génocide est forcément la faute de quelqu’un ? Est-il forcément cautionné par d’autres ? (ici Segundo, le métis, dont l’indécision coûte beaucoup, est-il blanc ? est-il indien ? doit-il s’opposer à MacLennan et Bill ? Doit-il les aider pour trouver sa place). Existe-il une justification à un tel acte ? Non. Encore moins la naissance d’une nation… comme ce terrible Chili. « Les Colons » tourmente les spectateurs pour la bonne cause. Il y a un travail historique à faire, il faut retoucher l’Histoire car elle a été forcément écrite par les vainqueurs et la rendre plus honnête même si elle est dégueulasse, poisseuse et violente.
« Les Colons » : alchimie du premier film !
Felipe Gálvez Haberle signe un premier film dur, sec, engagé et le cinéaste s’impose avec ce brûlot incendiaire sur son pays (il réussit plus à charmer et à être réussi sur la vision de l’histoire que « Killers Of The Flower Moon » qui traite du même sujet), transcendé par une âme et magnifié par la réalisation et la musique, comme un talent chilien à suivre. Il y a une alchimie radicale, celle qui fait vibrer les grands premiers films, qui se dégage de ce « Les Colons ». Le film a secoué le Festival de Cannes 2023, il était en sélection « Un Certain Regard« , et il continue de le faire maintenant qu’il est dans les salles françaises. On ne peut que vous recommander de vous précipiter le voir tant qu’il y est. L’expérience viscérale proposée par « Les Colons » en vaut clairement la chandelle.
