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“Killers Of The Flower Moon” : Les nerfs à vif

C’est enfin la sortie du nouveau film de Martin Scorsese “Killers Of The Flower Moon” au cinéma. Avec tout son génie, le cinéaste porte à l’écran l’œuvre éponyme de David Grann dont c’est le deuxième livre adapté avec “The Lost City of Z” de James Gray en 2017. Présenté en avant-première au Festival de Cannes, ce long-métrage au casting prestigieux, Leonardo DiCaprio, Robert de Niro, Lily Gladstone et Jesse Plemons pour ne citer qu’eux, est-il à la hauteur de nos attentes ?

Au début du XXème siècle, le pétrole a apporté la fortune au peuple Osage qui, du jour au lendemain, est devenu l’un des plus riches du monde. La richesse de ces Amérindiens attire aussitôt la convoitise de Blancs peu recommandables qui intriguent, soutirent et volent autant d’argent Osage que possible avant de recourir au meurtre…

Copyright Paramount Pictures France

« Killers Of The Flower Moon » est un sujet taillé sur mesure pour Martin Scorsese. Il nous en tire une fresque historique et politique de plus de trois heures qui se trouve être indéniablement un grand film. Le réalisateur dresse un portrait terrifiant de l’Amérique des années 20 et du traitement cruel réservé aux peuples indiens. Avec un souci du détail certain, il parvient à représenter le peuple Osage d’Oklahoma, dans le cas présent, avec authenticité et selon les dires des concernés, très proche de la réalité. Le livre de non-fiction de Grann avait d’ailleurs été écrit avec l’aide des survivants et descendants des amérindiens Osage, victimes de génocides comme la plupart des peuples tribaux. On en attendait pas moins de la part de Scorsese d’adapter fidèlement et avec beaucoup de respect cette histoire vraie, partie de l’Histoire tragique de l’Amérique. Un récit aussi riche qu’il n’est horrible sur fond de racisme et de xénophobie et une lutte sans merci pour la richesse des terres amérindiennes.

Au travers de cette « grande famille » de criminels que Martin Scorsese se plait à traiter, on pense bien évidemment aux mafieux emblématiques de ses oeuvres précédentes, « Killers Of The Flower Moon » parle de sujets contemporains qui questionnent, interpellent. Avec les nerfs à vif, donc, le spectateur voit défiler sous ses yeux les pires atrocités commises dans une ère pas si éloignée de la nôtre. Qu’avons-nous appris depuis ? Le chemin de la rédemption est encore long et il n’y a qu’à voir l’actualité de nos jours pour le savoir. Tout est difficile à regarder, à concevoir et à encaisser : la frontière entre ancien monde et monde moderne, les regards dédaigneux et les paroles assassines, tous les changements et toutes les brutalités que subissent le peuple Osage nous mettent les nerfs à vif. De Niro et DiCaprio trouvent là une dynamique forte, un face à face mémorable. Et pourtant, c’est en ce sens que le film se perd un peu.

Copyright Paramount Pictures France

Impossible de ne pas penser au point de vue adopté dans « Killers Of The Flower Moon ». Tout, ou presque nous est raconté à travers les yeux du personnage interprété par Leonardo DiCaprio, Ernest Burkhart. À la fois misérable et antipathique, cet antagoniste qui permet à son acteur de révéler de nouvelles facettes de jeu, prend trop de place. En étant le moins intéressant du lot mais toujours dans le haut du panier parce que nous sommes chez Scorsese, le long-métrage perd malgré tout de sa force et de son émotion. C’est d’autant plus irritant lorsqu’il y a une actrice comme Lily Gladstone à ses côtés qui aurait dû être LA voix du film puisqu’elle en est déjà le coeur. Quel dommage que « Killers Of The Flower Moon » n’adopte pas plus le point de vue du peuple Osage. Leur temps de présence à l’écran est injustement limité, Gladstone est en fin de compte très en retrait et elle aurait mérité à être sur le devant de la scène. On sent là une occasion manquée de faire interagir tous ensemble ce casting impérial et de les faire se confronter.

Alors, un grand film ? Oui mais… nous aurions aimé passer plus de temps avec les Amérindiens et la représentation de leur culture qui aurait, selon nous, décupler l’émotion. Il n’en reste que « Killers Of The Flower Moon » est visuellement impressionnant. Son réalisateur a l’art et la manière de transposer de grandes fresques à l’écran et nul doute que le film fera date dans les années à venir. Nous vous laissons avec les paroles de Christopher Cote de la tribu Osage, consultant sur le film, qui explique très justement ce que nous pensons du point de vue adopté dans le film :

Copyright Paramount Pictures France

« As an Osage, I really wanted this to be from the perspective of Mollie and what her family experienced, but I think it would take an Osage to do that,Martin Scorsese, not being Osage, I think he did a great job representing our people, but this history is being told almost from the perspective of Ernest Burkhart and they kind of give him this conscience and kind of depict that there’s love. But when somebody conspires to murder your entire family, that’s not love. That’s not love, that’s just beyond abuse. » propos recueillis sur le site du Hollywood Reporter

« En tant qu’Osage, je voulais vraiment que ce soit du point de vue de Mollie et de ce que sa famille a vécu, mais je pense qu’il faudrait un Osage pour faire ça. Martin Scorsese, n’étant pas Osage, je pense qu’il a fait un excellent travail en représentant notre peuple. Mais cette histoire est racontée presque uniquement du point de vue d’Ernest Burkhart et ils lui donnent en quelque sorte cette conscience et une sorte de représentation de l’amour. Mais quand quelqu’un conspire pour assassiner toute votre famille, ce n’est pas de l’amour. Ce n’est pas de l’amour, c’est juste au-delà de la maltraitance. »

« Killers Of The Flower Moon » de Martin Scorsese c’est maintenant au cinéma et il faut le voir sur un très grand écran.

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