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Entretien avec la réalisatrice Destiny Ekaragha

Nous avons eu la joie de rencontrer la réalisatrice britannique Destiny Ekaragha à l’occasion de la 34ème édition du Festival du Film Britannique de Dinard. Troisième femme noire, seulement, à avoir son premier film, « Gone Too Far », distribué en Angleterre en 2014, elle a depuis réalisé des épisodes de séries très populaires : « The End of the Fucking World » sur Netflix ou encore « Ted Lasso » sur AppleTV. Rencontre.

Mélanie (The Spectators) : Bravo pour votre participation en tant que membre du jury de cette 34ème édition du Dinard Festival du Film Britannique. Avez-vous déjà été dans un jury auparavant et comment se passe la collaboration avec les autres membres (la Présidente Catherine Frot, Alice Isaaz, Jonathan Zaccaï, Amelia Gething, Thierry Godard et Nolwenn Leroy) ?

Destiny Ekaragha : Oui, j’ai déjà été membre d’un jury mais c’était différent de celui-ci. C’était plus formel et à l’occasion d’une cérémonie de remise de prix et non pas un festival. On était dans une toute petite pièce à discuter des séries TV et des films à départager. C’est ma première fois en tant que juré pour un festival de film. Tout le monde est très gentil et accueillant et mes partenaires du jury sont des personnes formidables toutes aussi gentilles et on est ensemble dans le même bateau.

M. : Vous ne les connaissiez pas auparavant ?

D. E. : Non, je ne les connaissais pas mais maintenant on rit et on s’amuse durant les déjeuners comme si on se retrouvait. Donc jusqu’ici l’expérience est merveilleuse.

M. : C’est génial d’autant plus qu’un festival sert à ça aussi, faire de nouvelles rencontres personnelles et professionnelles.

D. E. : Exactement ! Au final dans mon travail, je ne rencontre pas tant de gens que ça, au quotidien, à moins que je sois sur un tournage. Donc rencontrer d’autres créatifs et en plus, dans un pays différent, c’est super.

M. : Pour rentrer dans le vif du sujet, quels sont les premiers aspects que vous regardez lorsque vous devez juger un film ?

D. E. : Je ne regarde jamais un film en attendant quoi que ce soit. D’ailleurs, j’y vais à l’aveugle. Je ne regarde aucune bande-annonce, je ne lis pas le résumé ni ce qui a été dit dessus. Même dans la vie de tous les jours, c’est ainsi que j’aborde les films.

M. : J’essaye de faire pareil, c’est certainement l’une des meilleures façons de se lancer dans une oeuvre.

D. E. : Oui, ne rien savoir dessus permet d’apprécier l’oeuvre telle qu’elle est, sans comparaison, sans préjugé, sans attente. Les films que j’ai vus jusqu’à présent depuis le début du festival sont très forts. Je ne recherche rien, j’aime être surprise finalement, lorsqu’on croit qu’un film va dans une direction et finalement pas du tout. C’est la meilleure expérience qu’il s’agisse d’un film social ou de super-héros. Il faut les juger pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’on en attendait.

M. : Vous avez eu de bonnes surprises jusqu’à présent ? Sans trop en dire, bien sûr !

D. E. : (rires) Oui, il y en deux que j’ai trouvés inspirants.

M. : Changeant de sujet, votre premier film, « Gone Too Far », est sorti en 2014. J’étais choquée d’apprendre que vous n’étiez, à l’époque, que la 3ème réalisatrice noire à avoir son film distribué en Angleterre. Quel est votre constat à ce propos 10 ans plus tard ?

D. E. : Mon dieu, ça fait 10 ans déjà. Le temps passe vite. À l’époque, j’étais choquée aussi bien sûr, ce n’est pas quelque chose qu’on célèbre. Comment puis-je être la 3ème seulement ? C’est scandaleux ! Et 10 ans plus tard, il y en a eu d’autres mais c’est loin d’être assez ! C’est un autre sujet que de parler de distribution et de qui peut faire des films en Angleterre et les chiffres le disent, donc il y a toujours beaucoup de chemin à faire et c’est mon avis là-dessus. Il y a beaucoup beaucoup de travail à faire.

M. : Clairement. Vous avez participé au documentaire « Black Hollywood: They’ve Gotta Have Us », diriez-vous que la montée du « Black Cinema » est bien présent et sauf à Hollywood en ce moment ?

D. E. : Je dirais que ça commence, c’est positif avec les succès de « Get Out » ou de « Black Panther », car je pense que la première crainte des studios étaient que le cinéma fait par les noirs ne vend pas. C’est inexact, nous on le savait déjà et ils le savent maintenant. Ma seule peur est que ça ne devienne qu’un cinéma de niche ou à la mode sans réel impact dans le futur.

M. : Comme une tendance…

D. E. : Comme une tendance ! C’est déjà arrivé auparavant et ça pourrait recommencer. Mais le positif c’est qu’on est présent dans différents genres, horreur, film social, film indépendant ou encore film de super-héros et ça peut-être pour la toute première fois.

M. : Il y a eu beaucoup de progrès, c’est certain. Il y a toujours deux camps : les optimistes et d’autres plus pessimistes.

D. E. : Je choisis d’être optimiste mais je reste très prudente. La vigilance constante est toujours nécessaire, malheureusement. C’est fatigant mais il y a du progrès.

M. : Vous avez travaillé pour la télévision, pour de grands studios, en tant que réalisatrice pour Netflix avec « The End of the Fucking World »,et distribué sur de grandes plateformes comme AppleTV avec « Ted Lasso ». Diriez-vous qu’en tant que femme noire et réalisatrice cela vous a quand même permis d’avoir de la reconnaissance de la part de vos pairs et de l’industrie ?

D. E. : Je suis très consciente que je suis une femme noire et j’en suis la plus fière et je suis aussi très consciente de ce que ça signifie pour beaucoup de gens. Je suis par ailleurs très consciente de moi-même en tant qu’individu donc pour moi, j’essaye juste de faire mon travail. Il est vrai qu’en tant que femme noire, on m’a beaucoup plus questionné sur mes capacités et mes compétences, simplement basé sur mon genre et ma couleur de peau. Je ne suis pas indifférente au fait que d’autres femmes ou jeunes filles voient qu’une femme noire a percé, a réussi à se faire une place dans le milieu et qu’elles sachent que c’est possible. J’en suis fière et j’avais besoin de ça, moi aussi quand j’étais plus jeune. J’étais admirative de Grace Jones, vous voyez (rires) je voulais être aussi cool qu’elle !

M. : La représentation est importante mais vous ne pouvez pas être la seule à porter ça sur vos épaules…

D. E. : J’ai besoin que d’autres femmes noires fassent la même chose, j’ai besoin d’inspiration aussi. Plus on est et moins c’est un poids à porter pour nous. Je vais juste rajouter que j’ai hâte du jour où on aura plus cette conversation.

M. : Vous avez l’opportunité en tant que réalisatrice d’apporter de la diversité dans vos projets ? En même temps, c’est presque honteux que pour avoir de la diversité, on demande aux personnes de couleurs de l’apporter eux-mêmes. Y a-t-il un vrai soutien derrière tout ça ?

D. E. : C’est difficile. J’ai des amis qui font des projets et essayent de privilégier une équipe et un casting noirs. C’est difficile pour différentes raisons, on veut faire le meilleur mais on ne trouve pas nécessairement les ressources. J’ai rencontré des personnes de couleur brillantes dans leur domaine mais à qui on a coupé les ressources et qui n’ont pas eu de privilèges pour s’élever dans leur travail. Parfois, le soutien n’est pas là. J’ai hâte que pour mes futurs projets, j’ai le choix non pas entre 2 directeurs de la photo mais 20 ! En Angleterre, les choses bougent et je vois de plus en plus d’équipes et de castings composés de personnes de couleur ultra-talentueuses.

M. : Ça me fait penser au film « Rye Lane » (« Toi & Moi ? » EN VF dispo sur Disney+) de Raine Allen-Miller projeté ici au festival de Dinard qui est une comédie romantique réjouissante !

D. E. : Super cool comme film, ça fait plaisir à voir. Il y en aura de plus en plus des œuvres comme celle-ci mais ça prend du temps.

M. : Merci beaucoup, Destiny, d’avoir pris le temps de répondre. C’était un échange passionnant. Bonne continuation et bon festival !

D. E. : Oh cool, merci et bon festival également !

Propos traduits de l’anglais.

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