Ouvert mardi dernier, le 20 juin 2023, le Champs-Élysées Film Festival s’est révélé être à la hauteur de nos attentes. Jusqu’à présent, nous avons eu la joie et l’honneur de participer à la cérémonie d’ouverture, où le film « Passages » était présenté en avant-première. Mais pas que ! Voici un petit résumé de ces trois premiers jours.
Après une soirée d’ouverture réussie avec une performance de l’artiste Silly Boy Blue et en présence de l’équipe du film de « Passages », le réalisateur américain Ira Sachs et l’acteur britannique Ben Whishaw, nous avons entamé le deuxième jour du festival avec des interviews de ces deux derniers.

Un moment hors du temps où nous avons pu longuement échanger avec Ira Sachs et Ben Whishaw sur le film qu’ils sont venus promouvoir ainsi que sur leur amour du cinéma et le bonheur qu’ils éprouvaient d’être invités d’honneur au Champs-Élysées Film Festival. Pour découvrir nos interviews, c’est ici et ici.
L’après-midi nous les avons retrouvés lors de la projection du premier long-métrage de Ira Sachs « The Delta » tourné en 16mm et sorti en 1996. L’histoire se concentre sur Lincoln, un adolescent provenant d’un milieu aisé qui partage sa vie entre sa petite-amie et des hommes qu’il accoste sur la route. Il va alors faire la rencontre d’un jeune homme mystérieux, John, issu d’un milieu ouvrier né d’une mère vietnamienne et d’un père militaire afro-américain.
Cette projection a été suivie d’un échange avec le cinéaste et l’acteur dans lequel ils ont débattu sur le film, sur l’oeuvre de Ira Sachs et répondu à nos questions. Voici quelques extraits :

Ira Sachs : « C’est étrange de revoir son premier film ainsi. C’est un film de jeunesse avec beaucoup d’innocence et peu d’intention. L’interprétation est directe, avec des acteurs amateurs. C’est le premier et le dernier film que j’ai répété en vidéo en amont du tournage. Le scénario s’est construit grâce aux répétitions où j’ajoutais les répliques et improvisations de mes acteurs. »
Le réalisateur continue en comparant « The Delta » et « Passages » : « Il s’agit de deux films sur les conséquences de nos actions. Il y a également le rôle de la femme qui est vulnérable et qui subit le mauvais traitement de deux hommes homosexuels. »
« Par ailleurs, dans « The Delta » l’acteur qui joue John a beaucoup d’humour, il est très drôle. Je regrette de ne pas avoir réussi à capter cette malice. Il ne savait ni lire ni écrire l’anglais ou le vietnamien et a du apprendre ses dialogues en audio. J’ai une anecdote amusante : dès qu’il terminait de dire son texte, il se relaxait et souriait d’avoir réussi à le mémoriser. Alors, je lui ai dit de regarder devant lui et de fixer ce qu’il avait devant lui lorsqu’il avait terminé un dialogue. Et là, tout le monde l’a félicité pour son regard hyper intense et naturel, c’était vraiment drôle parce qu’en fait, c’est mécanique, tout était prémédité. Et je me rappelle lui avoir demandé, en tant qu’acteur amateur, s’il n’était pas perturbé par la fin du film (événement tragique que nous ne spoilerons pas) et il a répondu qu’il était super content de cette fin parce que d’après lui le film n’avait pas d’action et ça ajoutait du piquant » nous raconte le cinéaste américain.
Ensuite, Ben Whishaw partage avec nous la première fois qu’il a entendu parlé d’Ira Sachs : « J’avais vu le poster de son film « Keep The Lights On » en 2012 mais je ne l’avais pas encore vu. Je l’ai découvert avec « Love Is Strange », j’avais envie de suivre ce cinéaste qui parlait d’hommes queer, il y en avait si peu qui traitait le sujet de manière aussi authentique que lui. Dès notre rencontre, nous avons eu une forte alchimie, comme une sorte de séduction – non, nous n’avons pas couché ensemble (rires) – mais il y avait tellement de confiance et de vérité dans notre relation qu’à partir de ce moment-là, ce n’est plus que du travail, c’est autre chose. »
Il continue de s’exprimer sur l’intimité du film « Passages » où tout est montré frontalement (sentiments et corps) : « Ce n’était pas un risque pour moi cette frontalité. Je voulais le faire parce que j’ai confiance dans le réalisateur et dans mes partenaires à l’écran. Ira cherche la vérité et non pas des performances qui ne sont pas des performances, si ça a du sens. C’était un peu effrayant parfois, bien sûr, c’était direct, on se sent vulnérable mais à partir du moment où on établit une bonne relation et on est inspiré par les autres, les scènes de sexe ne sont pas plus difficiles que de films une scène dans la cuisine à boire du thé. Cela dépend de la complexité de la séquence et des attentes. »
Ben Whishaw s’exprime sur les coordinateurs d’intimité qui sont présents sur les tournages pour permettre aux acteurs et à l’équipe de travailler en toute sécurité et en toute confiance (le premier épisode de « The Idol » en parle et montre tout ce qui ne faut pas faire et toute la toxicité du monde de la musique et du cinéma) : « Les coordinateurs d’intimité sont très importants pour ceux qui en ont besoin, je pense que ça peut devenir frustrant lorsque tout devient lissé et prédéfini. La fabrication d’un film est lié au dialogue et à l’échange et cela peut créer des barrières et se sentir limiter dans ses actions. »

La journée, célébrant la Fête de la Musique, s’est terminée pour nous avec la projection du nouveau film de Paul Schrader « Master Gardener » en présence de l’acteur australien Joel Edgerton qui a gentiment pris le temps de répondre à de nombreuses questions. On le retrouvera le lendemain matin à l’occasion de sa masterclass.
Une heure et trente minutes d’échanges passionnants avec un artiste caméléon, aussi bien à l’aise dans les grosses productions que dans les films indépendants. Avec plus de 25 ans de carrière et une soixantaine de films à son actif, l’acteur, scénariste et réalisateur australien s’est confié sur sa carrière, sur l’évolution des pratiques cinématographiques mais aussi sur sa vie personnelle et notamment la relation avec son frère Nash, également réalisateur-acteur et cascadeur. Voici quelques extraits tirés de cette rencontre :
Joel Edgerton nous partage son amour pour le cinéma indépendant qu’il est venu célébrer au Champs-Élysées Film Festival avec la présentation de son film « Master Gardener » : « Je préfère tourner dans des drames concrets plutôt que devant des fonds verts. J’ai besoin d’être effrayé par un projet pour m’y engager pleinement. »
Il continue sur son jeu d’acteur et l’image qu’il a de lui-même : « Je pense que les acteurs ne devraient pas trop se regarder dans leurs propres oeuvres. Il en sort un certain « auto-contrôle » et on finit par se limiter. On remarque chez certains acteurs que leur flamme disparait avec l’âge et l’expérience. J’ai pris l’habitude de ne plus me regarder après chaque prise. Je demande à mon frère Nash de le faire à ma place. J’ai une totale confiance en lui et si mon jeu ne va pas, il me le dira. »
Le sujet « Star Wars » est bien évidemment abordé et Joel Edgerton s’exprime sur l’évolution du cinéma et l’arrivée de l’intelligence artificielle dans les industries créatives : « Star Wars était une formidable expérience et c’était un plaisir d’y retourner. La saga m’a offert une visibilité internationale et je me suis dis que si je ne reprenais pas mon rôle dans série « Obi-Wan Kenobi », qui le ferait ? On apprend toujours que ce soit des bons ou des mauvais projets. »
« L’intelligence artificielle est effrayant mais l’esprit humain ne peut être remplacé. Il y aura toujours des créateurs pour faire des oeuvres innovantes et des scénarios originaux. Bien sûr, il est plus difficile de financer le cinéma indépendant mais il y aura toujours de bonnes idées, des histoires intemporelles, détachées du temps. » dit-il.
À propos de l’aspect financier du cinéma indépendant, il ajoute : « Parfois, on fait des films qui durent dans le temps mais qui ont rapporté très peu de bénéfices à leur sortie, qui ont fait peu d’entrées. Je préfère cela plutôt que de jouer dans un film à gros budget qui connait un énorme succès en salles, rapporte beaucoup d’argent mais dont personne ne se souvient quelques années après. Je prends l’exemple de « Warrior », je crois qu’il s’agit toujours de mon film le plus vu, on m’en parle souvent et pourtant, il n’a pas marché à sa sortie. »
Joel Edgerton est également un réalisateur et scénariste aguerri. Il a notamment écrit plusieurs scénarios et réalisé « The Gift » et « Boy Erased » sur lesquels il s’explique : « Je crois que je suis très attiré par le thème du harcèlement. Quand les gens commettent des erreurs dans leur vie, qu’est-ce qu’ils font ensuite ? C’est ça qui est intéressant, est-ce qu’on peut devenir une meilleure personne ? Est-ce qu’on a droit a une deuxième chance ? »
« Pour bien écrire, je vais passer tous les personnages en revue, un par un lors des réécritures, afin d’être sûr d’accorder suffisamment d’attention à chacun d’entre eux. J’aime les personnages ambigus, lorsque le héros vit dans le méchant de l’histoire et que le méchant vit dans le héros. Peu de films réussissent finalement le typique « bien contre le mal » dit-il.
Il se confie alors sur sa relation avec son frère qui travaille également dans l’industrie cinématographique : « Nash et moi avons grandi en regardant des films de Ninja, sur les arts martiaux et avec les films de Schwarzy. On adorait jouer avec une caméra, à refaire les films qu’on avait aimés. Nash filmait et montait le film sans penser qu’on ferait du cinéma plus tard. Je l’admire parce qu’il n’a pas attendu qu’on lui montre pour faire, il s’est lancé tout seul et est devenu cascadeur puis monteur et enfin réalisateur. C’est lui qui m’a poussé à la réalisation, il m’a motivé et il est certainement la raison pour laquelle je suis ici devant vous aujourd’hui. »
Travailleur acharné et passionné, il termine par nous parler de la difficulté de réaliser certains projets : « Un film ça se mérite et ça se travaille. Le travail c’est tout le processus de création, de production, de mise en oeuvre. Le plaisir et la joie sont dans la fabrication, peu importe si l’oeuvre est mal reçue ensuite. Un bon scénario est la base-même de toute oeuvre. Sans un bon scénario, il est impossible de faire un bon film. Mais on peut faire un mauvais film à partir d’un bon scénario. Je donne toujours le meilleur de moi-même dans mes scripts ainsi que dans mes performances d’acteur. Je pense à Gatsby, c’était tellement fun d’interpréter un connard. Dans la vraie vie, je déteste le conflit. C’est pour ça que je suis acteur, pour pouvoir explorer ses traits de caractère qui me sont étrangers. »
À suivre bientôt, la suite de nos aventures au Champs-Élysées Film Festival.
N.B. : les paroles des acteurs et réalisateurs ont été reformulées pour le besoin de l’article.
